Chapitre 19 - Les différentes écoles Nichiren

c) Le courant de Nikkō

La doctrine

Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, la transmission vitale n’est pas une simple passation de relais tel qu’on peut le voir dans les entreprises lorsque, par exemple, un chef de service quitte son poste pour être remplacé par un autre.

Il y a là la relation de maître à disciple par le biais de laquelle le maître (le Bouddha) transmet non seulement la doctrine à son disciple, mais également tous les arcanes des rituels, ainsi que sa propre manière de vivre, dont le disciple s’imprègne corps et âme.

Nichiren Daishōnin ayant choisi le seul Nikkō Shōnin pour lui succéder, il est naturel que Nikkō Shōnin ait perpétué l’enseignement de Nichiren Daishōnin à travers son courant, devenu aujourd’hui la Nichiren Shōshū.

Les autres courants n’ont donc pas lieu d’être. Pourtant, leurs fondateurs, voulant survivre malgré tout, s’agitent et se débattent comme des poissons hors de l’eau. Etant toutefois complètement éloignés de la véritable doctrine de Nichiren Daishōnin, ils proposent ce que l’on voit encore aujourd’hui, c’est-à-dire n’importe quoi.

Mais quelle est cette véritable doctrine de Nichiren Daishōnin, cette doctrine qui lui est propre et que personne d’autre que Nikkō Shōnin et ses successeurs n’a comprise ?

Nichiren Daishōnin la définit on ne peut plus clairement dans la Lettre à Jōnin (Jōnin shō - 常忍抄), écrite le 1er octobre 1278.

« Dans l'ensemble, vous devriez garder à l'esprit ce qui suit. En opposant le Sutra du Lotus aux enseignements antérieurs et en évaluant leur supériorité et leur profondeur relatives, la comparaison entre les enseignements qui se trouvent encore dans une certaine dimension et ceux qui s'étendent au-delà peut être effectuée à trois niveaux. L'enseignement de Nichiren représente la troisième doctrine. Si la première et la deuxième doctrine ont été évoquées dans le monde de manière assez vague, comme dans un rêve, la troisième n'a jamais été évoquée. Bien que Tendai, Miao-lè et Dengyō l'aient expliquée dans une certaine mesure, ils ne l'ont pas entièrement clarifiée. En fin de compte, ils l'ont laissé pour l'instant présent, la Fin du Dharma. C'est l'époque que l'on appelle la cinquième période de cinq cents ans ».

On ne saurait être plus clair. Et pourtant aucun courant soi-disant nichirenistes ne tient compte de cette précieuse information, reléguant l’enseignement de Nichiren Daishōnin à une sorte de « sous-Tendai », ce qui nous conforte dans l’importance de la transmission vitale, car seul Nikkō Shōnin et ses successeurs ont compris, commenté et fait vivre la véritable doctrine de Nichiren Daishōnin, la fameuse « troisième doctrine ».

Mais qu’est-ce que la troisième doctrine ?

En ce qui concerne cette troisième doctrine, les disciples de Nichiren, autres que Nikkō Shōnin, ont généralement confondu les Trois sortes d’aspects de l’enseignement du Tendai, que nous avons déjà étudiés au chapitre 14, avec les trois doctrines proposées par Nichiren Daishōnin. Ils pensent en effet que le premier enseignement de Tendai, « l'Aspect de la fusion ou de la non fusion avec la nature et les racines », est la première doctrine de Nichiren Daishōnin, que le deuxième enseignement de Tendai, « l’Aspect continu ou non continu de l'enseignement », est la deuxième doctrine Nichiren Daishōnin et que le troisième enseignement de Tendai, « l’Aspect éloigné-proche et non éloigné-proche du maître et des disciples », est la troisième doctrine de Nichiren Daishōnin.

 

Or, il n’en est rien.

Il faut d’abord savoir qu’en fait, les « trois doctrines » de Nichiren Daishōnin sont les trois dernières comparaisons qu’il opère dans le Traité qui ouvre les yeux : la comparaison entre les sutras circonstanciels et le Sutra du Lotus (1ère doctrine), la comparaison entre la doctrine éphémère et la doctrine originelle du Sutra du Lotus (2ème doctrine) et la comparaison entre la doctrine originelle au niveau des phrases, qui s’avère révéler le bienfait de la récolte et le profond des phrases qui révèle le bienfait de l’ensemencement de la même doctrine originelle du Sutra du Lotus (3ème doctrine).

Dans l’extrait de la Lettre à Jōnin cité précédemment, il convient de prêter attention aux deux expressions « les enseignements qui se trouvent encore dans une certaine dimension » qu’on pourrait retraduire de manière plus synthétique par " Enseignements dimensionnels", ce qui soulève l'idée que ces enseignements sont situés dans une certaine dimension spécifique, limitée et « ceux qui s'étendent au-delà » qu’on peut également synthétiser par "Enseignements transcendants", terme qui suggère que les enseignements en question ont une portée plus large et atteignent des dimensions plus profondes que les précédents.

En l’occurrence, Nichikan Shōnin, le 26ème grand Patriarche de la Nichiren Shōshū, commentant les trois doctrines de Nichiren Daishōnin a écrit dans son exégèse du Traité sur l’objet de vénération :

« Pour expliquer simplement, je dirai que premièrement, les enseignements antérieurs (au Lotus) restent encore dans une certaine dimension, tandis que la doctrine éphémère (du Lotus) s’étend au-delà. Telle est la doctrine de la comparaison entre le circonstanciel et le véritable ; deuxièmement, la doctrine éphémère reste encore dans une certaine dimension, tandis que la doctrine originelle s’étend au-delà. Telle est la doctrine de la comparaison entre l’éphémère et l’originel ; troisièmement, le bienfait de la récolte reste encore dans une certaine dimension, tandis que le bienfait de l’ensemencement s’étend au-delà. Telle est la doctrine de la comparaison entre la récolte et l’ensemencement. C’est ce que l’on nomme les trois aspects doctrinaux de l’ensemencement ». (…) A l’observation des Trois sortes d’aspects de l’enseignement du Tendai, on s’aperçoit que ses deux premiers aspects correspondent au premier aspect doctrinal de notre école, tandis que le troisième aspect doctrinal du Tendai, « l’Aspect éloigné-proche et non éloigné-proche du maître et des disciples », correspond au deuxième aspect doctrinal de notre école. En ajoutant la comparaison entre la récolte et l’ensemencement, on obtient les trois aspects doctrinaux de notre école. (…) Ceux des différents courants ne connaissent pas cette logique et interprètent simplement la troisième doctrine du Tendai comme étant la troisième doctrine de notre Fondateur Nichiren ».

On peut ainsi établir le tableau suivant :

Nichiren Daishōnin, pour sa part, écrit dans Les dix mondes de dharmas :

« Lorsque l'on examine l’intégralité des saints enseignements donnés (par le Bouddha) au cours de sa vie selon la signification de la contemplation du cœur de la doctrine originelle du Sutra du Lotus, il apparaît aussi clair que de prendre un anraka[i] et de le présenter dans la paume de sa main. Pour quelle raison ? C'est parce que lorsque le grand enseignement de la doctrine éphémère se produit, les grands enseignements des sutras antérieurs disparaissent, lorsque le grand enseignement de la doctrine originelle se produit, le grand enseignement de la doctrine éphémère et ceux des sutras antérieurs disparaissent, et lorsque le grand enseignement de la contemplation du cœur se produit, les grands enseignements de la doctrine originelle, de la doctrine éphémère, comme ceux des sutras antérieurs disparaissent tous. Ainsi, partant du superficiel pour parvenir au profond, l’illusion se transforme progressivement ».

J’ouvre une parenthèse pour expliquer que le mot « Anraka » désigne un fruit, dont le nom est la transcription phonétique du mot sanskrit āmra. Il est également appelé āmra ou anmora, en référence au manguier. Dans le Yán xióng yīnyì (延雄音義), le fruit est utilisé à la fois comme aliment et comme médicament, comme il est dit : "Le fruit est comme une noix, son goût est aigre-doux, et il peut être utilisé à des fins médicinales")Nichiren Daishōnin montre ici le grand enseignement de la contemplation du cœur en répartissant les enseignements sacrés donnés par le Bouddha au cours de sa vie en « Enseignements dimensionnels » et « Enseignements transcendants », partant du superficiel pour arriver au profond.

Concernant l’expression « contemplation du cœur » utilisée ici, Nichikan Shōnin précise dans son Exégèse du Traité sur le Honzon de l’observation du cœur :

« La doctrine de l’ensemencement au profond des phrases est appelée "contemplation du cœur" ».

Il ajoute :

« Le Sutra du Lotus de la contemplation du cœur n’est autre que le Sutra du Lotus de l’ensemencement au profond des phrases ».

Nichiren Daishōnin utilisa plusieurs méthodes pour démontrer où se situait sa doctrine, la « troisième doctrine » et quelle était sa valeur. Dans tous les cas, il apparaît qu’elle représente la finalité de tout le bouddhisme. Pour cela, il utilisa, par exemple, « les cinq suites de comparaisons » dans le Traité qui ouvre les yeux, que nous avons déjà vues, « les cinq niveaux de trois degrés » dans le Traité sur le Honzon de l’observation du cœur que nous verrons plus tard et « les quatre adoptions et rejets » que nous avons ici dans le Traité sur Les dix mondes de dharmas.

La signification des quatre adoptions et rejets du Traité sur Les dix mondes de dharmas est que « le grand enseignement de la contemplation du cœur » n’est autre que la troisième doctrine de Nichiren Daishōnin. En ce sens, Nichikan Shōnin écrit dans son Traité sur Les trois transmissions secrètes :

« Les sutras enseignés tout au long de la vie du Bouddha sont de quatre sortes : antérieurs (au Sutra du Lotus), la doctrine éphémère, la doctrine originelle et le profond des phrases. Il existe une transmission secrète pour les trois véhicules concernant ces quatre sortes. En effet, les sutras antérieurs ne révélant pas encore Une pensée trois mille, ils restent encore dans une certaine dimension. Comparativement, la doctrine éphémère révèle Une pensée trois mille. C’est pourquoi, elle s’étend au-delà. Telle est la première doctrine (de Nichiren Daishōnin), la comparaison entre le circonstanciel et le véritable. Ensuite, bien que la doctrine éphémère révèle Une pensée trois mille, (le Bouddha n’ayant pas encore) abandonné son aspect éphémère pour révéler sa nature véritable, il ne s’agit pas là de la véritable doctrine d’Une pensée trois mille. C’est pourquoi, elle reste encore dans une certaine dimension. Comparativement, la doctrine originelle révèle la véritable doctrine d’Une pensée trois mille par le biais de la présence mutuelle des dix mondes, cent mondes et mille Ainsi. C’est pourquoi, elle s’étend au-delà. Telle est la deuxième doctrine (de Nichiren Daishōnin), la comparaison entre la doctrine éphémère et la doctrine originelle (du Lotus). Enfin, bien que la doctrine originelle au niveau des phrases révèle le bienfait de la récolte et la véritable doctrine d’Une pensée trois mille, il ne s’agit encore là que de l’aspect doctrinal théorique, autrement dit de l’éphémère au sein de l’originel. C’est donc seulement le principe d’Une pensée trois mille et c’est pourquoi, elle reste encore dans une certaine dimension. Seule l’unique doctrine originelle de l’ensemencement au profond des phrases s’étend au-delà. Elle est la troisième doctrine (de Nichiren Daishōnin), la comparaison entre la récolte et l’ensemencement. Si les érudits apprenaient cela, les mérites et les démérites des 50 années de prêche du Bouddha et l'intention originale des quelques quarante écrits de notre Fondateur Nichiren deviendraient aussi clairs pour eux qu’un fruit posé sur la paume de leur main ».

Telle est la signification de la troisième doctrine de Nichiren Daishōnin.

 

 

Dans la première partie de ce chapitre, nous avons étudié la véritable doctrine de Nichiren Daishōnin, doctrine qu’on ne trouve nulle part ailleurs et qu’il nomme lui-même « la troisième doctrine », qui représente la finalité de tout le bouddhisme. Cette troisième doctrine est le bienfait de l’ensemencement.

Comme un champ fertile qui doit être ensemencé, le champ spirituel des êtres ordinaires ne peut être ensemencé que par le Bouddha enseignant le Sutra du Lotus. Une fois que ce bienfait de l’ensemencement s’est produit, il faut ensuite qu’apparaisse le bienfait de la maturation et, enfin, le bienfait de la récolte qui est l’atteinte de la bouddhéité. 

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