Chapitre 19 (2) Le courant de Nikkō (Nichiren Shōshū)

Les trois bienfaits de l'ensemencement, de la maturation et de la récolte

Dans cette seconde partie du 19ème chapitre, nous allons étudier les trois bienfaits de l’ensemencement, de la maturation et de la récolte sous les angles de la doctrine éphémère et de la doctrine originelle du Sutra du Lotus, finalité de l’enseignement du Tendai et, enfin, sous l’angle du profond des phrases du chapitre Durée de la vie du Sutra du Lotus, propre au seul Nichiren Daishōnin.

En résumé, la comparaison entre l’ensemencement et la récolte est un aspect doctrinal fondé sur la notion d’observation du cœur, lorsqu’on étudie le bouddhisme. Or, en outre, il est nécessaire de connaître ce qui concerne l’ensemencement et la récolte. En fait, l’ensemencement et la récolte désignent les trois bienfaits de l’ensemencement, de la maturation et de la récolte. Ils représentent l’intégralité, du début à la fin, de l’enseignement du Bouddha et les étapes successives du processus de son éducation des disciples. Dans le Traité sur le Honzon de l’observation du cœur, Nichiren Daishōnin écrit :

« Même si ces écoles affirment que leurs enseignements sont profonds, elles ne discutent toujours pas de l’ensemencement, de la maturation et de la récolte, ce qui revient à dire qu’elles sont semblables à la réduction du corps en cendres et à l’annihilation de la sagesse (du Petit véhicule) ».

Ou encore, dans le Traité qui ouvre les yeux :

« En ce qui concerne la signification de l’ensemencement, de la maturation et de la récolte, aucun des sutras du Shingon ou de l’Ornementation fleurie, ne mentionne ne serait-ce que leur nom, à plus forte raison leur signification ».

Ou encore, dans la Lettre à Akimoto :

« Les doctrines de l’ensemencement, de la maturation et de la récolte représentent le cœur essentiel du Sutra du Lotus ».

Ainsi, les trois bienfaits de l’ensemencement, de la maturation et de la récolte sont une doctrine importante au sein de l’enseignement de Nichiren Daishōnin. Dans son Exégèse du Traité qui ouvre les yeux, Nichikan Shōnin établit leur relation.

« Question : pourriez-vous expliquer les dénominations "ensemencement, maturation et récolte" ?

Réponse : À mon sens, l'ensemencement fait référence au semis de la graine, qui constitue la cause première de la voie merveilleuse. La maturation renvoie au processus permettant d'amener à son plein développement cette graine plantée, tout au long de son évolution. Quant à la récolte, il s'agit de l'émancipation finale, du fait de quitter le cycle des vies et des morts pour atteindre l'autre rive, celle du Nirvana ».

Nichiren Daishōnin précise la relation entre ces trois bienfaits dans son Traité sur l'infirmation et la confirmation que les Bouddha des trois phases jugent bon d'effectuer au sein de l’aspect doctrinal des enseignements, dans lequel il expose la causalité des trois bienfaits.

« Lorsque l’Ainsi-venant Shakya, avant le passé des éons de cinq cents grains de poussière, était encore un homme ordinaire, il réalisa que son corps était composé de terre, d'eau, de feu, de vent et d'espace, et ouvrit immédiatement l’éveil. Par la suite, afin d'instruire les autres, monde après monde et temps après temps, il apparut au monde et réalisa la Voie ; vie après vie et lieu après lieu, il montra les huit aspects de la vie d'un bouddha, amenant les êtres à voir et à comprendre qu'il était né dans le palais d'un roi et qu'il avait atteint l'éveil sous un arbre, comme s'il venait de devenir un bouddha pour la première fois. Pendant plus de quarante ans, il a établi ainsi l'enseignement des moyens expéditifs afin de diriger les êtres. Mais après cela, il abandonna les divers enseignements des sutras et exposa franchement le principe de l’ensemencement des Ainsi-venants aux cinq sagesses [i] ».

A présent, nous pouvons répartir ces trois bienfaits en trois bienfaits de la doctrine éphémère, de la doctrine originelle et du profond des phrases.

Ce qui nous donne :

1) Les trois bienfaits de la doctrine éphémère

Dans un passé très lointain, appelé le passé des trois mille grains de poussières d’éon, à l’époque du Bouddha Grands-Pouvoirs-Vainqueur-en-sagesse, ses seize princes prêchèrent le Sutra du Lotus, ce qui permit à tous les êtres de recevoir l’ensemencement et de nouer le lien avec le Sutra du Lotus. Vies après vies, génération après générations, ces seize princes convertirent et guidèrent les gens. Ces derniers renaquirent en Inde à l’époque du Bouddha Shakyamuni, la graine de bouddhéité dont ils avaient été ensemencés à l’époque du Bouddha Grands-Pouvoirs-Vainqueur en sagesse murit en écoutant le prêche des sutras antérieurs au Sutra du Lotus et ils parvinrent à la libération par le bienfait de la récolte qui se produisit pendant le prêche de la partie principale de la doctrine éphémère, constituée des huit chapitres partant du 2ème, les Moyens, jusqu’au 9ème,  l’Annonciation aux apprentis et à ceux qui n’ont plus besoin d’apprendre.

2) Les trois bienfaits de la doctrine originelle

Le moment où, au tout début de l’origine lointaine et étendue (kuon ganjo), le Bouddha fondamental planta la graine de bouddéité dans le champ spirituel des êtres constitue le bienfait de l’ensemencement. La période s’écoulant depuis ce moment jusqu’à l’enseignement de la doctrine éphémère du Lotus d’aujourd’hui, en passant par l’enseignement du Sutra du Lotus par les seize princes du Bouddha Grands-Pouvoirs-Vainqueur-en-sagesse dans le passé de trois mille grains de poussières d’éon, constitue le bienfait de la maturation. La libération obtenue lors du prêche de la partie principale de la doctrine originelle du sutra du Lotus, constituée d’un chapitre et de deux moitiés (2ème moitié du 15ème chapitre, 16ème chapitre et 1ère moitié du 17ème chapitre) constitue le bienfait de la récolte.

3) Les trois bienfaits du profond des phrases

La période actuelle de la Fin du Dharma et constituée d’êtres dénués du bien à l’origine (Hon mi u zen - 本未有善), car n’ayant jamais reçu l’ensemencement de la graine de bouddhéité, ils n’ont aucun lien avec le Bouddha. Les êtres ayant reçu l’ensemencement dans le passé infini ont tous obtenu la libération du vivant du Bouddha Shakyamuni ou dans les deux millénaires de la Rectitude et de la Semblance du Dharma qui ont suivi son extinction. Ceux qui malgré tout n’ont pas obtenu la libération au cours de ces périodes, se retrouvent avec les êtres dénués du bien à l’origine dans la Fin du Dharma. Afin de permettre à tous ces êtres d’obtenir la libération au cours de l’éternité de la Fin du Dharma, le Bouddha Fondamental apparaît pour ensemencer leur champ spirituel avec le Nam Myōhōrengekyō enfoui au profond des phrases du chapitre Durée de la vie (il reproduit l’ensemencement du passé infini). C’est ce que l’on appelle l’ensemencement dans la Fin du Dharma. Ceux qui suivent l’enseignement du Bouddha fondamental de la Fin du Dharma, c’est-à-dire notre fondateur Nichiren Daishōnin, reçoivent les trois bienfaits de l’ensemencement, de la maturation et de la récolte à travers le seul bienfait de l’ensemencement. Plus précisément, la foi est l’ensemencement, la récitation de Nam Myōhōrengekyō est le bienfait de la maturation et l’union parfaite avec le Honzon est le bienfait de la récolte.

Mais qu’y a-t-il au profond des phrases ?

Nichiren Daishōnin le dit lui-même dans le Traité qui ouvre les yeux, comme nous l’avons déjà vu au chapitre 15 (De Tendai à Nichiren) :

« La doctrine d’Une pensée trois mille, uniquement dans le Sutra du lotus, au chapitre Durée de la vie, au profond des phrases de la doctrine originelle, est cachée et enfouie ».

Dans son Traité sur ce qu’il est enfoui et caché au profond des phrases, Nichikan Shōnin reprend le passage du chapitre des Moyens que nous avons déjà vu au chapitre 3 (La sagesse du Bouddha vs la sagesse des humains ordinaires) :

« Les Éveillés Vénérés du monde n’apparaissent au monde que pour la cause et la condition d’une unique grande œuvre (…) C’est parce que les Éveillés Vénérés du monde veulent ouvrir les êtres à la sagesse et la vision d’Éveillé et leur faire acquérir la pureté qu’ils apparaissent au monde. C’est parce qu’ils veulent montrer aux êtres la sagesse et la vision d’Éveillé qu’ils apparaissent au monde. C’est parce qu’ils veulent faire comprendre aux êtres la sagesse et la vision d’Éveillé qu’ils apparaissent au monde. C’est parce qu’ils veulent faire pénétrer les êtres dans la sagesse et la vision d’Éveillé qu’ils apparaissent au monde ».

Avant d’aborder la signification que Nichikan Shōnin donne à l’expression « Unique grande œuvre », voilà d’abord comment Zhiyi, le grand maître du Tendai commente l’expression « la cause et la condition d’une unique grande œuvre » de ce passage, dans son traité Les Mots et phrases du Lotus :

« "Unique" ne désigne rien d’autre que le véritable aspect ; il n’y en a pas cinq, il n’y en a pas trois, il n’y en a pas sept, il n’y en a pas neuf, c’est pourquoi, il est qualifié d’unique. Sa nature étant si vaste et étendue, qu’elle est plus ample que cinq, trois, sept ou neuf. C’est pourquoi, on la qualifie de "grande". S’agissant de la raison pour laquelle tous les Bouddhas apparaissent au monde, on l’appelle "œuvre". Les êtres étant prédisposés, ils recherchent le Bouddha. C’est que l’on appelle la "cause". Le Bouddha, ressentant cette aspiration y répond. C’est ce que l’on nomme la "condition". Tel est le motif premier de l’apparition des Bouddha en ce monde ».

Voilà à présent l’explication de Nichikan Shōnin :

« "Un Bouddha apparaît dans ce monde dans un seul but : celui de révéler le Sutra du Lotus. Les habitants de cette terre en sont conscients, mais la raison de cette apparition leur demeure obscure. Pourriez-vous m'éclairer sur les motifs qui sous-tendent cette unique finalité ?"

"Je vous dirai que c'est parce que, au sein même de énoncés de ce sutra, résident enfouis et dissimulés les trois grands Dharmas secrets. Comment cela peut-il être discerné ?"

"Unique" se rapporte au Gohonzon de la doctrine originelle. En effet, il est le meilleur de tout le Janbudvipa. Il n’y en a pas deux, ni trois dans tout le Janbudvipa, c’est pourquoi il est unique.

"Grande" se rapporte au grand Sanctuaire (kaidan) de la doctrine originelle. Depuis les temps anciens, ce mot se lit « excellent », parce que dans tout le Janbudvipa, il n’y en a pas deux, il n’y en a pas trois. Ou encore, parce qu’il doit être construit dans le lieu excellent.

"Œuvre" se rapporte au Daimoku de la doctrine originelle. Ce qui ne relève pas de la théorie est qualifié de "pratique", ceci parce qu’il ne s’agit pas de la pratique théorique du Tendai. Par ailleurs, cette pratique étant effective, on parle "d’œuvre" (…). Ah ! De même que lorsque le ciel est clair, la terre est lumineuse, si l’on comprend cela, le but de la venue en ce monde de notre Fondateur apparaît aussi évident que lorsqu’on regarde la paume de sa propre main ».

Le Traité sur l’adoption de l’essentiel du Lotus, indique : "Plus de deux mille deux-cents ans après l’extinction de l’ainsi-venant, quels sont les Dharmas secrets que Nāgārjuna, Vasubandhu, Tendai et Dengyō ont laissé inachevé ? Réponse : Il s’agit du Honzon, du Sanctuaire et du Daimoku de la doctrine originelle".

Question : que signifie cette phrase ?

Réponse : il s’agit de la grande œuvre enfouie et dissimulée dans le profond des phrases, du Dharma secret non propagé dans les périodes de la Rectitude et de la Semblance, du but originel de la venue en ce monde de notre Fondateur Nichiren. C’est la substance véritable de l’ensemencement dans la Fin du Dharma, rien d’autre que la quintessence de notre école. C’est pourquoi, les maîtres des générations précédentes ne l’ont pas exprimé. A plus forte raison, comment les incultes aux faibles talents, pourraient-ils le comprendre » ?

Toutefois, je ne peux m’arrêter ici et dois envisager à une explication complète. Je vais vous le démontrer dans les grandes lignes ».

A partir de là, Nichikan Shōnin se livre à une explication détaillée des trois grands Dharmas ésotériques, explication que je remettrai à une prochaine occasion.

 

[1] Cinq sagesses (s. pañca jñanani, j. gochi - 五智) : 1) sagesse de la merveilleuse observation (s. pratyavek sana jñana, j. myôkan satchi - 妙観察智) : sagesse permettant de distinguer les différentes caractéristiques de tous les phénomènes. 2) Sagesse daccomplir ce qui doit être fait (s. krtya anusthana jñana, j. jōsho satchi - 成所作智) : sagesse de pouvoir accomplir des actes de bien pour soi et pour les autres. 3) sagesse de la similitude des natures (s. samata jñana, j. Byōdō shōchi - 平等性智) : Sagesse permettant de savoir que toutes les choses sont égales. 4) sagesse grande et parfaite comme un miroir (s. ada sa jñana, j. Daienkyōchi - 大円鏡智) : sagesse permettant de refléter tous les phénomènes tels qu’ils sont, comme un miroir. 5) Sagesse de la substance du monde des dharma (s. dharma dhatu svabhava jñana, j. hokkai taishō chi - 法界体性智) : sagesse permettant de connaître la quintessence de l’existence.

 

Nouvelles publications

Depuis le 18/09/2014