Chapitre 11 - Les huit enseignements

Au chapitre précédent, nous avons étudié la chronologie des enseignements donnés par le Bouddha Shakyamuni tout au long de sa vie.

Après une analyse aussi précise que méticuleuse, Zhiyi, le grand maître du Tendai définit cinq périodes d’enseignements qui furent les périodes de l’Ornementation fleurie, des Sutras Agama, des Sutras développés, des Sutras de la Sagesse et des Sutras du Lotus et du Nirvana.

En même temps que cette analyse chronologique, il se livra également à une étude des contenus des enseignements et une étude des méthodes utilisées par le Bouddha pour délivrer ces enseignements au cours des cinq périodes. Il distingua ainsi quatre doctrines classées selon le contenu des enseignements (kehō no shikyō 化法の四教) et quatre doctrines classées selon la méthode d’enseignement (kegi no shikyō 化義の四教).

Les quatre doctrines classées selon le contenu des enseignements

Les quatre doctrines de la nature des enseignements représentent le classement établi par le Grand Maître Tendai en fonction du contenu des enseignements du Bouddha. Ce sont les enseignements des Corbeilles, les enseignements communs, les enseignements Particuliers et l’enseignement Parfait.

1. Les enseignements des Corbeilles

L’expression « enseignements des Corbeilles » (Sanzō kyō) est l’abréviation d’enseignements des trois corbeilles et fait référence aux sutras (écritures), aux règles (préceptes) et aux traités (commentaires).

Ces trois corbeilles (Sanzō, Tripitaka) désignent à la fois les sutras, les règles et les traités et ceux qui les maîtrisent.

Originellement, les trois corbeilles sont inhérentes aux enseignements du Mahayana et de l’Hinayana. Or, le grand maître du Tendai interprétant la phrase du chapitre 14 du Sutra du Lotus (les pratiques aisées) :

« Les érudits des trois corbeilles, avidement attachés au Petit Véhicule »

Il désigna le Petit véhicule par l’appellation « Trois Corbeilles ».

Les enseignements des Corbeilles s’adressent principalement aux auditeurs et éveillés par les conditions (les deux véhicules) et accessoirement aux bodhisattvas. La doctrine contenue dans l’enseignement des Corbeilles affirme que les souffrances des trois mondes et des six voies (enfer, esprits affamés, animaux, ashura, êtres humains et cieux) sont le résultat des mauvaises passions (égarements des vues et des pensées) des vies antérieures et de la rétribution du karma (actes) engendré par ces mauvaises passions et que pour éliminer ces vexations, il faut s’éveiller à la vérité de la vacuité.

La vision de la vacuité enseignée dans les Corbeilles est la "vision analytique de la vacuité", qui analyse toutes les choses et dit que ces choses existent pendant un certain temps en raison de causes et de conditions et lorsque ces causes et conditions sont épuisées, elles sont détruites et retournent à la vacuité. Sur la base de cette vision de la vacuité, les auditeurs pratiquent les quatre nobles vérités, les éveillés par les conditions pratiquent les douze liens causaux, tandis que les bodhisattvas pratiquent les six perfections pour éliminer les mauvaises passions des égarements des vues et des pensées, afin de ne plus jamais naître dans le monde de souffrance des trois mondes et des six voies. Telle est la notion d’éveil des enseignements des Corbeilles. Les égarements des vues sont les mauvaises passions générant l’illusion quant à la raison et les égarements des pensées sont les mauvaises passions émotionnelles.

Tant qu'il y a un corps physique, ces mauvaises passions embrouillent l'esprit, aussi dit-on que ce n'est que par la réduction en cendres du corps et la destruction de la sagesse que l'on peut entrer dans le véritable nirvana. Cette illumination est appelée "nirvana sans reste".

Une telle vision de la vacuité dans les enseignements des Corbeilles est appelée "vacuité simple" parce qu'elle nie la réalité et voit toutes les entités comme n'étant qu'une facette de la vacuité. Elle est également appelée "vacuité partiale" parce qu'elle est une vérité biaisée.

On retrouve l’enseignement des Corbeilles dans les sutras des périodes Agama, des Sutras développés et du Nirvana.

2. Les enseignements communs

Les enseignements communs représentent les enseignements du Grand véhicule circonstanciel s’adressant principalement aux bodhisattvas et accessoirement aux deux véhicules, ce qui est donc l’inverse des enseignements des Corbeilles.

Le mot « commun » (d’enseignements communs) est utilisé car la « vacuité substantifique » qui y est enseignée possède des éléments communs avec la vacuité enseignée dans les Corbeilles (vacuité simple, analytique) qui la précède et également des éléments communs avec les enseignements particuliers et parfait qui lui succèdent.

Les enseignements Communs expliquent que la pratique de la contemplation pour échapper aux effets de souffrance des trois mondes et des six voies, la "contemplation de la vacuité substantifique", selon laquelle, à l’origine, la vraie nature des divers phénomènes n’existe pas, car ils sont issus de la conjonction de causes et de conditions.

Dans les enseignements Communs, les personnages des trois véhicules pratiquèrent les ascèses des quatre vérités de l’absence de production, des douze liens causaux et des six perfections. Toutefois, le contenu de leur éveil n'était pas le même en raison de la différence de leurs prédispositions, aigües ou obtuses. En effet, les bodhisattvas et les deux véhicules (les auditeurs et les éveillés par les conditions) de racine obtuse, bien qu’entendant « vacuité substantifique » s’arrêtèrent à l’éveil à « la vacuité simple », comme dans les enseignements des Corbeilles. Par contre, les bodhisattvas de racine aigüe s’éveillèrent au « principe de la vacuité non-simple » comprenant le principe merveilleux de la voix du milieu impliquant que la substance des choses n’est pas simplement vide, mais contient également l’existant.

Par conséquent, l'objectif principal de ces enseignements communs était de faire réaliser aux bodhisattvas de racine aigüe la vérité de la vacuité non-simple, afin qu’ils puissent passer à l'étape suivante de la pratique des enseignements particuliers et parfait.

On retrouve les enseignements Communs dans les périodes des Sutras développés, de la Sagesse et du Nirvana.

3. Les enseignements Particuliers

Les enseignements Particuliers sont appelés ainsi parce que leur contenu est différent des enseignements précédents de Corbeilles et Communs et de l’enseignement suivant Parfait, et qu’il ne fut dispensé qu'aux bodhisattvas.

Ici, alors que les deux enseignements précédents n'enseignaient que la vérité de la vacuité, les trois vérités de la vacuité, de la conditionnalité et de la médianité sont largement révélées.

La « vérité de la vacuité » signifie que toutes les existences sont dépourvues d’une entité fixe. « La vérité de la conditionnalité » signifie que toutes les existences manifestent un aspect provisoire en fonction de causes et de conditions. La « vérité de la médianité » est que tous les êtres ne sont ni vides ni temporaires, mais sont à la fois vides et temporaires, transcendant les deux côtés de la vacuité et de la conditionnalité. C'est là que l'on trouve la vérité immuable.

Cependant, les Trois Vérités de la Vacuité, de la Conditionnalité et de la Médianité enseignées dans les enseignements Particuliers sont appelées les « Trois Vérités séparées » parce qu'elles sont séparées les unes des autres et ne s'intègrent pas. En outre, la vérité de la médianité révélée dans les enseignements Particuliers, est appelée la « vérité de la médianité simple » parce qu'elle est une simple voie médiane qui n'inclut pas les deux vérités de la vacuité et de la conditionnalité.

En outre, les enseignements Particuliers révèlent trois égarements, les égarements des vues et des pensées, les égarements des poussières et l’égarement de l’obscurité que les bodhisattvas du Grand véhicule doivent interrompre. Et afin d’interrompre ces trois sortes d’égarements, ils doivent pratiquer en progressant à travers 52 degrés qui sont les dix degrés de foi, les dix degrés de stations, les dix degrés de pratique, les dix degrés de transfert, les dix terres, l’éveil égal et l’éveil merveilleux.

Par ailleurs, outre les trois mondes et les six voies, enseignés dans les enseignements des Corbeilles et Communs, les enseignements Particuliers révèlent la causalité de tous les dix mondes, y compris les quatre voies Saintes (auditeurs, éveillés par les conditions, bodhisattvas et Bouddha), mais établissent que ces dix mondes sont séparés et ne révèlent donc pas la présence mutuelle des dix mondes.

Ainsi, ne révélant pas la fusion parfaite des trois vérités, la fusion, la présence mutuelle des dix mondes, les enseignements Particuliers ne sont pas encore des enseignements Parfaits.

On retrouve les enseignements Particuliers dans les Sutras enseignés lors des périodes de l’Ornementation fleurie, des Sutras développés, de la Sagesse et du Nirvana.

4. L’enseignement Parfait

L’enseignement Parfait est l'enseignement qui révèle que toutes les choses des mondes de dharmas de l’univers sont harmonieusement intégrées en une seule substance inconcevable.

Dans l’enseignement Parfait, les trois vérités que sont la vacuité, la conditionnalité et la médianité ne sont pas isolées, mais dans une relation où chaque vérité est les trois vérités et les trois vérités sont une seule. C’est ce que l’on appelle « la fusion parfaite des trois vérités ». Cette fusion parfaite des Trois Nobles Vérités implique que toutes les substances individuelles des mondes de dharmas et le monde des dharmas tout entier sont la substance merveilleuse inconcevable de la voie du milieu. Par rapport à « la médianité simple » des enseignements Particuliers, la médianité de l’enseignement Parfait est appelée « médianité non-simple ».

En outre, l’enseignement Parfait révèle la réciprocité des dix mondes, impliquant que les vies des neuf mondes sont présentes dans le monde du Bouddha et la vie du monde du Bouddha est également présente dans la vie des êtres des neuf mondes.

L’enseignement Parfait, qui explique la fusion parfaite de la Triple vérité et la présence mutuelle des dix mondes, représente l'enseignement complet et l'illumination ultime du Bouddha.

Sur la base de ce principe de la fusion parfaite de la Triple Vérité et de la présence mutuelle des Dix mondes, le Sutra du Lotus révèle la Doctrine d’Une pensée trois mille. La foi en cette doctrine permet l’adéquation de nous-même et des mondes de dharmas de l’univers et il n'est dès lors plus nécessaire de renoncer aux cinq désirs et aux mauvaises passions, qui étaient jusqu’alors considérés comme quelque chose à laquelle il fallait renoncer et notre corps d’être ordinaire, tel qu’il est, s’ouvre à la bouddhéité et nous devenons Bouddha dès ce corps.

La vérité contenue dans l’enseignement Parfait est également enseignée dans les périodes de l’Ornementation fleurie, des Sutras développés et de la Sagesse. Toutefois, étant mêlée aux moyens enseignés dans les enseignements des Corbeilles, Communs et Particuliers, les sutras enseignés lors de ces périodes ne sont pas des enseignements purs. Pour cette raison, on les appelle la "Perfection des sutras antérieurs". Le Sutra du Lotus, quant à lui, est l’enseignement qui révèle uniquement la doctrine de la fusion parfaite et de la perfection. C’est pourquoi, il est appelé « l’unique merveille de la perfection pure ».

Les quatre doctrines classées selon la méthode d’enseignement

Les quatre méthodes d’enseignement représentent la forme et les méthodes qu’utilisa le Bouddha Shakyamuni au cours de ses cinquante années de prêche et que le grand maître du Tendai catégorisa sous l’appellation d’enseignements Subit, Graduels, Secrets et Indéterminés.

1. L’enseignement Subit

Le mot "subit" signifie "immédiat" et fait référence au fait que le Bouddha prêcha les enseignements du Mahayana directement, indépendamment des capacités et de la prédisposition des êtres à qui il s’adressait. Cette forme de prédication fut utilisée dans la période de l’Ornementation fleurie et son contenu réitéré à la fois dans l’enseignement Parfait et les enseignements Particuliers.

2. Les enseignements Graduels

Cette méthode d’enseignement signifie que le Bouddha conduisit progressivement les êtres des enseignements superficiels aux enseignements plus profonds en fonction de leur prédisposition. Cette forme de prédication correspond aux périodes Agama, des Sutras développés et de la Sagesse.

Avec cette méthode d’enseignements Graduels, dans la période Agama, seuls les enseignements des Corbeilles (le Petit Véhicule) étaient enseignés. Dans la période des Sutras développés, le Petit Véhicule (Enseignement des Corbeilles) était enseigné parallèlement au Mahayana (Enseignements Communs, Particuliers et Parfait). Dans la période de la Sagesse, les deux enseignements Communs et Particuliers étaient enseignés avec l’enseignement Parfait.

3. Les enseignements Secrets

Les enseignements Secrets sont également appelés enseignements Secrets et indéterminés, ce qui fait référence à une manière d'enseigner dans laquelle les êtres qui écoutent les enseignements du Bouddha ignorent l'existence des uns et des autres (secret) et entendent les mêmes enseignements de différentes manières selon leurs propres capacités (ils écoutent la même chose qu’ils comprennent de manière différente), de sorte que les bienfaits qu'ils reçoivent ne sont pas fixes (indéterminés). Cette méthode de prédication se retrouve dans une partie de la période de l’Ornementation fleurie et dans les périodes Agama, des Sutras développés et de la Sagesse.

4. Les enseignements Indéterminés

Les enseignements indéterminés sont également appelés enseignements Indéterminés manifestes. Cela fait référence à une méthode d'enseignement dans laquelle les êtres qui écoutent les enseignements du Bouddha sont conscients de l'existence (manifeste) de chacun, mais parce de la même manière que dans l’enseignement secret, ils écoutent la même chose qu’ils comprennent de manière différente, les bienfaits pour les êtres sont indéterminés. Cette méthode de prédication, comme les enseignements Secrets, se retrouve dans une partie de la période de l’Ornementation fleurie, dans les périodes Agama, des sutras développés et de la Sagesse.

 

Ainsi, la raison pour laquelle le Bouddha a utilisé une telle variété de moyens et de méthodes dans ses enseignements était d'harmoniser progressivement la prédisposition des êtres et de les conduire au véritable et insurpassable Sutra du Lotus afin qu’ils obtiennent la libération. Le Sutra du Lotus est appelé le "Nectar transcendant les huit doctrines" parce qu'il s'agit de l’enseignement Parfait directement basé sur l’éveil du Bouddha et parce qu'il transcende les quatre doctrines classées selon le contenu des enseignements et les quatre doctrines classées selon la méthodes d’enseignement.

 

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