Question n° 1

Démons et Divinités

Question

Comment le bouddhisme conçoit-il les notions de « démons » et de « divinités » ?

 

Réponse

Il s’agit là en réalité d’une question primordiale. En effet, les humains de cultures non-bouddhistes, ont tendance à percevoir le bouddhisme à travers un prisme judéo-chrétien, qui influence, voire empêche leur compréhension des concepts bouddhistes.

 

C’est le cas, entre autres des notions de « démons » et de « divinités ».

 

Prenons d’abord le cas de la notion de « démons ».

 

Dans la lettre aux frères Ikegami, Nichiren Daishōnin, citant le grand arrêt et contemplation écrit :

 

« La doctrine d’Une pensée trois mille, révélée dans le cinquième volume du Grand arrêt et contemplation, va encore plus loin. Si vous parlez de cette doctrine, les démons ne manqueront pas d’apparaître. S’ils n’apparaissaient pas, il n’y aurait aucun moyen de savoir qu’il s’agit de l’enseignement correct. Dans le même cinquième volume on peut lire : "À mesure que la pratique et la compréhension s’approfondissent, trois obstacles et quatre démons émergent sous des formes trompeuses, rivalisant les uns avec les autres. Il ne faut pas leur obéir, ni s’en effrayer. Leur obéir nous mènerait dans les mauvaises voies. S’en effrayer nous empêcherait de pratiquer l’enseignement correct". Cette déclaration non seulement s’applique à moi mais constitue aussi un clair miroir pour mes disciples. Faites respectueusement vôtre ce commentaire et transmettez-le comme principe de base de la foi aux générations futures ».

 

Également, dans la Réponse à Hyōe no Sakan, il écrit :

 

« Lorsqu’un humain ordinaire devient Bouddha, trois obstacles et quatre démons se manifestent inéluctablement. A ce moment, le sage s'en réjouit, tandis que le sot s’en effraye et se retire ».

Je vais à présent rappeler brièvement ce que sont les trois obstacles et les quatre démons (jp. Sanshō shima - 三障四魔).

 

Dans le bouddhisme, les trois obstacles sont les obstacles dus aux mauvaises passions, au karma et aux rétributions. Les mauvaises passions sont les trois poisons de la cupidité, de la colère et de la stupidité. Les obstacles dus au karma sont les mauvaises actions que nous avons perpétrées dans les vies passées. Les obstacles dus aux rétributions sont les conséquences karmiques de nos actions.

Les quatre démons sont les démons des agrégats, de mauvaises passions, de la mort et le roi démon du 6ème ciel. Le démon des agrégats perturbe les cinq éléments qui nous constituent. Le démon des mauvaises passions est stimulé par les trois poisons. Le démon de la mort s'empare de la vie du pratiquant. Le roi démon du 6ème ciel est considéré comme la racine de tous les obstacles et démons.

 

Les trois obstacles et les quatre démons sont des obstacles et des épreuves que les pratiquants du bouddhisme doivent surmonter sur leur chemin vers l'éveil. Or, dans le processus de l’éveil, la soumission du démon est un passage obligatoire.

 

Dans la Lettre aux frères, Nichiren Daishōnin écrit que les obstacles dus au Karma se manifestent sous la forme du conjoint et des enfants, tandis que les obstacles dus aux rétributions se manifestent sous la forme du souverain et des parents.

 

Les frères Ikegami, Shijō Kingo et Nanjō Tokimitsu étaient des pratiquants du bouddhisme de Nichiren Daishōnin. Ils ont tous été confrontés à des obstacles et des épreuves en raison de leur pratique.

 

Les frères Ikegami ont été déshérités par leur père parce qu'ils lui faisaient shakubuku.

 

Shijō Kingo a été privé de son fief par son suzerain pour la même raison.

 

Nanjō Tokimitsu a été surtaxé injustement.

 

Mais, grâce à leur foi et à leur pratique et en suivant scrupuleusement les conseils de Nichiren Daishōnin, ces hommes ont finalement surmonté ces obstacles.

 

Le père des frères Ikegami s'est converti au bouddhisme de Nichiren Daishōnin.

 

Shijō Kingo a retrouvé la confiance de son suzerain et a reçu un fief deux fois plus grand que le précédent.

 

Nanjō Tokimitsu est devenu un grand bienfaiteur du bouddhisme de Nichiren Daishōnin en offrant le terrain du Taisekiji à Nikkō Shōnin.

 

Nichiren Daishōnin lui-même eut à se confronter au démon tout au long de sa vie. Dès le commencement de son prêche, en effet, comme il l'expose dans le Traité qui ouvre les yeux, il fut en proie au dilemme de promulguer sa doctrine ou de s'y soustraire :

 

« J’étais la seule personne dans tout le Japon à saisir cela. Pourtant, prononcer ne serait-ce qu'un seul mot à ce propos me ferait immanquablement subir la colère de mes parents, de mes frères, de mes maîtres, et même du souverain de notre pays. Par ailleurs, je suis pleinement conscient que le silence témoignerait d'une absence de compassion. Je me suis interrogé, pesant ces deux chemins, à la lumière des Sutras du Lotus et du Nirvana. En demeurant muet, je pouvais échapper aux persécutions dans cette vie, mais je serais inéluctablement plongé dans les tourments incessants de l'enfer dans la vie à venir. Si je parlais, je sais pertinemment que je devrais affronter les trois obstacles et les quatre démons. Cependant, entre ces deux extrémités, j'ai opté pour la seconde ».

 

Le point culminant de cette confrontation avec le démon se déroula à Tatsunokuchi. Au moment suprême où le bourreau, le capitaine de la garde de gauche Echi no Saburō Naoshige allait lever son sabre qui portait le célèbre nom de Hedōmaru qui signifie « Torse de serpent » il s’approcha, tenant son sabre devant le visage de Nichiren Daishōnin et lui aurait murmuré : « Oh, Nichiren ! Pourquoi ne pas cesser d'être aussi têtu ? Même si c'est mon rôle, je n’ai pas envie de couper le cou d'un moine. Mais vous savez ce que l'on dit : le mensonge est parfois un expédient commode. N'en faites pas tout un plat, il suffit d'arrêter un instant le Nam Myōhōrengekyō et de chanter Namu-Amida-Butsu ».

 

Nichiren Daishōnin répondit alors : "Je n'entreprends pas cela par simple fantaisie. Je psalmodie ce Nam-Myōhōrengekyō et le préconise, car c'est l'unique voie pour sauver le pays et permettre au peuple d'atteindre le véritable bonheur qu'est la bouddhéité. C'est la seule manière de délivrer chacun de l’enfer. Si je m'interromps, la voie qui mène les gens à la bouddhéité sera close. Je ne fléchirai point." Et alors, il entonna inlassablement Nam-Myōhōrengekyō, Nam-Myōhōrengekyō…

 

On connaît la suite. Par sa volonté, son état de vie de Bouddha fondamental, Nichiren Daishōnin avait transformé le démon en divinité.

 

Finalement, la différence entre « démon » et « divinité », ne tient-elle pas uniquement à notre état de vie ? Dans la Lettre à Jōnin, Nichiren Daishōnin écrit :

 

« L'inclination du démon réside dans le plaisir qu'il éprouve à contrecarrer le bien et à inciter au mal. Toutefois, devant ceux qui, par une résistance vigoureuse, lui tiennent tête sans se laisser corrompre, il se trouve alors impuissant et se voit contraint de les orienter vers le bien ».

 

C’est ce qu’il fit à Tatsunokuchi, résistant au Démon qui n’eut d’autre ressource que de se transformer en divinité, lui permettant de dévoiler sa nature originelle de Bouddha fondamental éclairant l’obscurité éternelle de la Fin du Dharma.

 

Shakyamuni aussi avait résisté à la séduction du démon sous l’arbre Boddhi. Et une fois qu’il fut devenu Bouddha, c’est alors la divinité Brahma qui lui apparut intérieurement pour l’inciter à sauver tous les êtres.

 

Démon ou divinité, en fin de compte, la comparaison rejoint en quelques sortes celle faite par Nichiren Daishōnin entre l’enfer et la terre pure dans son traité sur l’atteinte de la bouddhéité en une vie, disant :

 

« Lorsque le cœur des êtres est souillé, la terre est souillée. Lorsque leur cœur est pur, la terre est alors pure. Que l’on parle de terre pure ou de terre souillée, la terre, en fait, ne connait pas de telle distinction. Celle-ci ne se manifeste qu’en fonction du bien ou du mal présents dans notre coeur ».

 

En ce sens, ainsi s'exprimait Nichiren Daishōnin dans son écrit intitulé "Les diverses actions", face à ses adversaires les plus acharnés, ceux qui ne désiraient rien d'autre que sa disparition :

 

« Mes meilleurs alliés dans la perspective de devenir Bouddha sont Kagenobu, les moines Ryōkan, Dōryū et Dōamidabutsu, Hei no Saemon et le seigneur de Sagami. Je leur suis reconnaissant car sans eux, comment aurais-je pu prouver que je suis le pratiquant du Sutra du Lotus » ?

 

Finalement, considérer que ce qui nous arrive est l’œuvre du démon ou d’une divinité, ne dépend que de nous. Dans la Réponse à l’épouse de Messire Ōta, également appelé Traité sur l’atteinte de la bouddhéité dès ce corps, Nichiren Daishōnin écrit :

 

« Ce que l’on appelle "poison" est les deux vérités de la souffrance et des causes de la souffrance. La causalité des vies et morts est le poison au sein du poison. Ce qui transforme ce poison en identité des vies et des morts avec le Nirvana, en identité des mauvaises passions avec la bouddhéité est la caractéristique ultime de Myō. Ce que l’on qualifie de bon remède est le médicament qui permet de transformer le poison en remède ».

 

Ainsi, l’énergie de notre foi dans le Dai Gohonzon associée à l’énergie de notre pratique font apparaître les pouvoirs du Bouddha et du Dharma, présents dans le Gohonzon, en nous, ce qui nous permet de transformer tous les aspects négatifs de notre vie (démons, mauvaises passions et autres) en divinités, bouddhéité et félicité.

 

C’est finalement tel que l’exprime Nichiren Daishōnin dans son Traité sur le sens de la substance par :

 

« Celui qui, honnêtement rejette les moyens, uniquement a foi dans le Sutra du Lotus et récite Nam Myōhōrengekyō transforme les trois voies des mauvaises passions, du karma et de la souffrance en trois vertus de corps de Dharma, sagesse et libération. La triple vision de la triple vérité apparaît en son cœur et le lieu où habite cette personne devient la terre de la lumière toujours sereine ».

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